Ambleny, origine du nom
D’après l’abbé Pocquet, le nom d’Ambleny dérive soit de Ambo Ligna, situation entre deux bois, soit de Ambo Lineoe, à cause des deux chaussées qui limitaient son territoire vers le nord, soit encore de Ambigines, lieu accidenté, soit enfin de Ambanare, entourer. En 1898, il rapproche le village d’Ambleny de celui de Saint-Bandry, qui s’est appelé Artèse jusqu’au XVe siècle, et pense que ces deux villages ont été fondés par des grandes tribus gauloises, les colonies d’Ambiani et d’Artésii.
La thèse la plus probable paraît celle de Ghislain Brunel, archiviste paléographe. Ambleny : Amblolacum, proviendrait de Amblonaco en 1089, de Ambleniaco en 1135, et de Ambleni en 1157, du nom d’un personne germanique Amal, avec suffixe in-iacus (variante de iacus), autrement dit, la terre, le domaine de Amal.
NB : le suffixe iacus (appatenance à…) a donné une terminaison en y dans le Nord, et une terminaison en ac dans l’Ouest et le Sud-Ouest.
Du passé…
La vallée de l’Aisne a toujours constitué un centre de peuplement très important. Les nombreuses fouilles effectuées le long de la rivière démontrent que la région a été occupée dès l’âge de pierre. À Ambleny, des silex, qui dateraient d’environ 80 000 ans, ont été trouvés en grand nombre. Des haches, des couteaux, des pointes de lames et de flèches ont été retrouvés sur le plateau de Châtel, qui domine la RN31 entre notre commune et Pernant. Dolmens et menhirs demeurent des témoins de la Préhistoire. Il a dû en exister à Ambleny, car s’ils ont tous disparu, il reste des souvenirs qui permettent d’affirmer leur existence.
L’abbé Poquet (1808-1897, écrivain, archéologue et historien, qui a contribué à la création de la Société historique et archéologique de Soissons) suppose que la Croix des pas Saint-Martin (en haut de la rue des Fosses) a remplacé l’un de ces menhirs.
Camp gaulois et vestiges romains
À l’époque gauloise, il aurait existé un vrai camp retranché à Ambleny, au lieudit le Châtel. S’il n’en reste rien aujourd’hui, des fouilles ont prouvé la présence des Suessions à cet endroit. Ceux-ci appartenaient aux peuples de la Gaule Belgique. D’abord nomades, il n’est pas possible de savoir exactement à quelle période ils se sont sédentarisés, les Gaulois n’ayant laissé aucun document écrit. Cependant, on peut penser que leur présence dans notre région daterait du IIIe siècle avant Jésus-Christ. Leur territoire s’étendait de Compiègne à Épernay en passant par le sud de l’actuel département de l’Aisne. C’est Jules César qui, le premier, a mentionné les Suessions dans « La guerre des Gaules », son récit de la conquête romaine menée de 58 à 51 av. J.-C.
En 1899, des fouilles furent entreprises au Châtel où l’on retrouva des traces d’habitations : cendres, charbon, blé brûlé, ossements d’animaux, poterie… Ce qui fit supposer à l’abbé Letombe (curé à Ambleny vers 1900) l’existence d’un rempart et d’une enceinte fortifiée. Cette sorte d’emplacement, situé sur un promontoire, porte le nom de castellum. Celui d’Ambleny dominait la route de Soissons à Senlis qui bifurquait à Pontarcher pour aller vers Noyon. À la fin du XIXe siècle, de nombreuses pièces d’or romaines et gauloises furent découvertes à l’entrée du camp, ce qui permet de dire que ce lieu a été occupé de façon certaine par des Gaulois.
Les vestiges laissés par les Romains sur le territoire d’Ambleny sont relativement nombreux : des monnaies, les fortifications de Châtel, des routes (chaussée Brunehaut), et la villa d’Arlaines. Il semble que le site d’Arlaines, au carrefour de deux voies romaines (Pontarcher), soit une station où l’on trouvait des chambres et des chevaux de rechange, ainsi que des vivres pour les troupes en marche. Lors de travaux sur la route de Fontenoy, en 1851, des fondations régulières, un aqueduc, des fragments de colonnes, des objets antiques furent découverts, dont plus de deux cents « cases » ou appartements. Une chose est certaine, notre région connaissait une intense activité aux premiers siècles de notre ère.
La légende de la Croix des pas Saint-Martin
La croix de pierre était fichée sur un tertre, et elle avait remplacé, disait-on, une roche, un menhir sans doute. Pour y accéder, il fallait gravir de 15 à 20 pas empreints sur le gazon : les pas de saint Martin (316-397). À diverses reprises, des farceurs avaient tenté de les anéantir. Pleine perdue ! À peine effacés, ils se reformaient d’eux-mêmes. On comprend ainsi la vénération des habitants envers ce monument isolé, et voici ce que leur avait appris la tradition.
« Le démon, toujours en quête de mal faire, avait gîté en ce lieu écarté pour y tourmenter les passants. Au cours de ses voyages, saint Martin passa par-là, et chacun des deux entreprit de convaincre l’autre, sans résultat sinon celui de mettre le diable en furie. Avec le saint, il n’y avait pas lieu de discuter. Le diable saisit un bâton et provoqua Martin en combat singulier. Il n’est pas besoin de dire qu’à l’instant, il fut vaincu, désarmé et vigoureusement châtié avec l’arme qu’il avait choisie.
« L’orgueilleux démon nia sa défaite et lança un autre défi. Sachant fort bien qu’il était resté rapide comme l’éclair, il proposa de s’élancer à travers les airs et d’arriver le premier sur la cime de la forêt de Retz que l’on aperçoit à l’horizon. D’un bond, il est dans l’espace… mais n’arriva même pas à mi-chemin, il s’écroula piteusement sur le sol. Martin le laissa geindre et n’eut pas à relever le défi. Dignement, il redescendit le tertre et, par miracle, pour laisser témoignage, ses pas restèrent imprimés. »
La rossée de bois vert, le défi, la chute, nous semblent des détails naïfs mais qui suffisaient aux gens de l’époque. La croix symbolise la lutte de l’apôtre des Gaules contre le paganisme et le triomphe en ce lieu de la religion sur l’idolâtrie, l’emprise de la croix sur les vieilles pierres de superstitions. Et c’est bien ainsi que les habitants d’Ambleny, qui prirent saint Martin pour patron, interprétaient leur légende. Légende qui a perduré car, en 1861, pour tenter la faveur du saint, deux jeunes gens du village, Mauprivez et Hirault, à la veille du tirage au sort pour le régiment, ont entrepris la réfection du calvaire et fixé une solide croix à son sommet. Trente ans plus tard, la foudre s’est abattue sur elle et l’a brisée ! S’il y eut vengeance du diable, elle était bien tardive.
…à l’époque contemporaine
Ambleny avant la Grande Guerre
Onézime Hénin, personnage emblématique d’Ambleny, a laissé de nombreuses notes manuscrites, dont son journal « Le temps d’une guerre » qui retrace la vie dans notre village pendant celle de 1914-1918. Une de ces notes permet d’évoquer la façon de se distraire à Ambleny en 1900.
Durant la mauvaise saison, on se réunissait chaque soir en famille ou entre amis pour la veillée. Les plus modestes se rassemblaient dans une cave, pour avoir moins froid, car le bois coûtait cher. On se chauffait simplement à l’aide d’un « pot à couver » qui contenait des braises. Les femmes filaient le chanvre, car chaque famille avait une roize1 dans les marais communaux.
Les fêtes familiales et populaires prenaient alors une grande importance. Le jour du premier de l’an, Onézime, également sonneur de cloches, sonnait l’angélus à quatre cloches à 5 heures du matin. Les plus jeunes se rendaient chez les personnes les plus âgées pour présenter leurs vœux. Ils avaient l’habitude d’offrir une petite bouteille d’eau-de-vie de Dantzig, de cassis ou de rhum. On chauffait aussi du vin de pays, dans une cafetière en terre, que l’on accompagnait de noix. Le midi ou le soir, un grand repas réunissait toute la famille chez les plus anciens.
A Mardi gras, on se regroupait et les enfants allumaient de grands feux de paille sur les hauteurs. On se souhaitait aussi sa fête, entre voisins ou en famille. La veille au soir, ceux qui allaient souhaiter la fête tiraient quelques coups de fusil à blanc en arrivant, et offraient la petite bouteille d’eau-de-vie traditionnelle sur laquelle était accroché un bouquet de fleurs. On récitait ensuite un compliment à sa façon. Le lendemain, un repas rassemblait tout le monde.
Repas simple mais copieux qui était l’occasion de chansons.
La religion tenait une grande place dans la vie à la campagne. La messe dominicale était très fréquentée, mais aussi les processions qui avaient lieu une ou deux fois par an. Plusieurs saints étaient à l’honneur dans le village et avaient leur office particulier. Saint Martin, patron de la paroisse, saint Éloi patron des forgerons, charrons, bourreliers et cultivateurs, sainte Barbe, patronne des sapeurs-pompiers, et sainte Cécile patronne de la musique, donc de la fanfare d’Ambleny, La Fraternelle. Les musiques municipales étaient très en vogue à l’époque, et celle d’Ambleny remportait de nombreux prix dans les concours de la région et, bien sûr, donnait des concerts dans le village.
Première fête populaire de l’année, celle de Pontarcher se tenait le premier dimanche après Pâques. Puis lui succédaient la fête au Soulier, le dimanche après la saint Marc, la fête à la place Dantale, le jour de l’Ascension, et la fête place des Trois marronniers2, à la Pentecôte. La fête du village, au début de juillet, était la plus importante et durait trois jours à partir du dimanche suivant la saint Martin. Petits et grands faisaient des tours de chevaux de bois.
La fête à Maubrun, au mois d’août, suivie de celle du Rollet, en septembre, clôturaient ces célébrations et festivités.
Très en vogue aussi au début du XIXe siècle, dans tout le Soissonnais, le tir à l’arc et le tir au fusil, pour lequel la municipalité avait construit un stand du côté des Fosses. On se rencontrait aussi beaucoup au café pour jouer au billard. Le dimanche soir, on se rendait à l’auberge Sonnet, sur la place de l’église, pour y danser mais aussi pour boire car, il faut se rendre à l’évidence, l’alcoolisme était la principale plaie de nos campagnes. Ambleny ne comptait pas moins de huit débits de boissons !
La fabrique de fleurs artificielles
À la fin du XIXe siècle, les petites industries recherchaient de la main-d’œuvre bon marché et commençaient à s’installer dans les campagnes. Ambleny comptait une fabrique de peignes et de brosses et une autre de fleurs artificielles. Avant la guerre de 1914, la fabrication des fleurs artificielles était une industrie de luxe prospère. Les fabricants étaient peu nombreux, trois ou quatre peut-être à Paris. La mode était, en effet, venue sous Napoléon III de parer les mariées de couronnes, de colliers et de bouquets de corsage en fleurs d’oranger artificielles. On accrochait aussi dans la jupe de la mariée des petits bouquets qui trouvaient ensuite leur place à la boutonnière des filles et des garçons d’honneur.
Denis Rolland, natif d’Ambleny et président de la Société archéologie et historique de Soissons depuis 1998, raconte.
« Mon arrière-grand-mère, Clarisse Galopin, est née à Saint-Bandry en 1848. Son père, Désiré, était couvreur et sa mère, Isoline Deciry, couturière. En 1860, ils habitent Crépy-en Valois. Isoline meurt à l’âge de 34 ans d’un cancer du sein. C’est alors que Désiré décide de tout abandonner pour aller chercher fortune en Amérique. Le jeune frère de Clarisse est placé chez un oncle, et sa sœur chez une tante à Vingré. Clarisse est placée comme apprentie, à Crépy, dans une fabrique de boutons et fleurs d’oranger qui servent à la confection des couronnes de mariées, puis ses patrons l’envoient à leur maison de Paris. À 18 ans, elle est première ouvrière, et à 20 ans, elle décide de fonder son propre atelier. Pour cela, elle emprunte de l’argent à ses cousins et, en quittant ses patrons, elle emmène une apprentie de 13 ans, Lucile Oisement.
« En 1868, Clarisse fait la connaissance de Marcelin Marguet, qui termine un engagement de dix ans aux Cent grades, la garde personnelle de Napoléon III. Une fois mariés, Marcelin et Clarisse s’installent à Paris, au n° 69 de la rue Notre-Dame-de-Nazareth, puis au 226 de la rue Saint-Denis. Leur appartement sert à la fois d’atelier et de logement. Marcelin aide sa femme dans son commerce. Il fait les livraisons, les courses auprès des fournisseurs. Les deux premières années sont difficiles : la guerre de 1870 puis le siège de Paris ne sont pas favorables à leur commerce. La paix revenue, l’activité reprend rapidement, le travail marche bien. Aussi, pour satisfaire sa clientèle et diminuer le coût de sa fabrication, Clarisse recrute des ouvrières à Saint-Bandry, lesquelles travaillent à domicile. Puis elle décide de transférer toute sa production hors de Paris. Elle loue ainsi à Ambleny la maison des Tournelles et y envoie Lucile pour diriger la fabrication.
« La confection des fleurs d’oranger s’effectuait, au départ, presque entièrement à la main. Partout, et dans presque tous les domaines, la machine commence à remplacer l’outil. Des modifications profondes interviennent dans les matières et les procédés de fabrication. Ceux-ci comportent dès lors un outillage qui rend obligatoire, pour certaines phases, le travail en atelier. Dès 1880, une vingtaine de jeunes filles et de jeunes femmes œuvraient sur place. Les mères de famille se spécialisaient dans les fabrications ne nécessitant pas un matériel important. Les locaux de location de la maison des Tournelles se révélant inadaptables, Marcelin fait l’acquisition, en 1881, d’une maison située sur la place des Marronniers (l’emplacement de l’actuel monument aux morts). Puis il fait construire une grande maison à proximité immédiate.
« La plus grande partie de la fabrication est désormais effectuée à Ambleny, tandis que la vente et certaines fabrications secondaires sont assurées dans les locaux de la rue Saint-Denis. Pour faire la liaison entre la capitale et l’atelier, Marcelin se rend à Ambleny tous les quinze jours. Tous les jours, Lucile fait une expédition de marchandises par chemin de fer en direction de Paris. Une ouvrière va à pied à la gare, distante de 3 kilomètres, transportant une caisse de fleurs dans une brouette. Les ouvrières commencent leur travail vers 8 h jusqu’à 18 h 30 ou 19 h. Elles ont une heure pour déjeuner et se contentent de 2 sous de pâté, du pain et des oignons. Elles gagnent à peu près la même somme qu’en travaillant dans les fermes. C’est moins fatigant et ça dure toute l’année.
« Durant la Première Guerre mondiale, la fabrication, mise en sommeil, est transférée à Paris pour reprendre à Ambleny quelques années plus tard. Après la guerre, beaucoup d’autres fabricants ont lancé des modèles plus simples qui demandaient moins de main-d’œuvre. Une fois montés en parures de mariées, c’était aussi joli. C’est cela qui désormais a prévalu. La fabrique d’Ambleny, elle, a continué, exportant une partie de sa production vers les États-Unis. Mais au fil des années, avec l’apparition de nouveaux matériaux, la production a diminué pour s’arrêter définitivement en 1936. »
Première Guerre mondiale
10 octobre 1914 Les fusillés d’Ambleny
Après la bataille de la Marne, la 6e armée, commandée par le général Maunoury, arrive dans l’Aisne le 11 septembre 1914. Les régiments sont épuisés, les pertes énormes et l’encadrement est décimé. Lorsque débute la bataille de l’Aisne, qui s’étend de Crouy à Quennevières, les régiments ont été reconstitués avec des soldats mobilisés depuis peu.
Au cours des combats, le même scénario se renouvelle chaque jour : mal préparés et insuffisamment encadrés, ces soldats se lancent à l’attaque. Décimés par les mitrailleuses ennemies, ils se replient en désordre et sont alors accusés de faiblesse, parfois d’abandon de poste. Démoralisés et promis à une mort certaine et inutile, ils refusent parfois de retourner à l’assaut. Il s’installe dans l’armée française une psychose du manque de discipline des troupes qu’il faut à tout prix réprimer, sous peine d’assister à son effondrement. Des centaines de soldats sont ainsi déférés devant les tribunaux militaires sous des motifs les plus divers.
Dès le mois d’octobre, les Français ont du mal à se maintenir sur le plateau de Fontenoy, balayé sans cesse par les mitrailleuses allemandes. Pour conserver ses positions, le commandement tente de compenser par la peur la faible valeur combative des unités qu’il met en ligne. Ainsi, chaque mois est marqué par des condamnations à mort. Le 10 octobre, les soldats Boursaud et Brosse, à Ambleny. En novembre, un soldat du 42e RI ; en décembre, six condamnés à Vingré, puis le soldat Leymarie ; en février, le soldat Bersot. Que valait une vie humaine alors que chaque jour des dizaines de combattants tombaient sous les balles ? L’ordre était de ne pas reculer, de tenir coûte que coûte. Certains de ces cas sont bien connus car ils ont fait l’objet de procès en réhabilitation, mais combien d’autres sont restés dans l’ombre. C’est le cas des fusillés d’Ambleny, tous deux originaires de l’Allier.
Leur régiment, le 238e RI, était posté en avant de l’ancienne ferme de Confrécourt pour constituer de nouvelles tranchées. Le 4 octobre, le sergent Alphonse Brosse quitte son poste dans la tranchée, pour dire à Jean Boursaud qu’il a l’intention de déserter. Il lui suggère de l’accompagner car, dit-il, cela va très mal dans les tranchées de Fontenoy. Dans la soirée, il revient voir Boursaud et tous deux décident de passer à l’acte. Après s’être habillés en civil à l’aide d’effets trouvés dans une maison abandonnée, ils sont allés cacher leurs armes et leurs uniformes dans un bois proche de Vic-sur-Aisne où ils passent la nuit et la journée du 5. La nuit suivante, ils réussissent à franchir le pont de Vic. Ils sont arrêtés par le poste de garde mais Brosse avait réussi à connaître le mot de passe par un camarade. Naïvement, les deux fugitifs croyaient pouvoir atteindre Pierrefonds sans encombre et, de là, prendre le train pour Paris. Mais à Chelles, un poste de gendarmerie contrôlait les allées et venues des civils car sans laisser-passer il était impossible de circuler. Ils sont donc arrêtés, et les gendarmes n’ont pas de mal à découvrir que les deux hommes sont des militaires.
Ramenés à Ambleny, au siège de la division, ils sont immédiatement déférés devant un conseil de guerre de la 63e division. Pour sa défense, Boursaud dit aux enquêteurs qu’il s’était laissé entraîner par Brosse. Celui-ci confirma être à l’origine de la désertion mais, pour se disculper, expliqua aux gendarmes : « Je ne mangeais plus, il me semblait que j’allais devenir fou. » Le 10 octobre, les deux militaires sont jugés par le conseil de guerre de la division. À l’unanimité des cinq juges, ils sont reconnus coupables d’abandon de poste en présence de l’ennemi et condamnés à mort. Ils sont exécutés le jour même, attachés à des noyers, chemin de Béron. Des témoins racontent que les fosses étaient creusées d’avance.
Le corps d’Alphonse Brosse a été repris par sa famille. Quant à Jean Boursaud, il repose dans la nécropole militaire nationale du Bois Robert à Ambleny. Sa croix porte la mention « Mort pour la France », une réhabilitation fictive en quelque sorte.
12 juin 1918 Apocalypse à Ambleny
Après la rupture du Chemin des Dames, fin mai 1918, les Allemands arrivent jusqu’à Ambleny. Le front se fixe sur le ru de Retz avec les Allemands à l’est et les Français à l’ouest. Après quelques jours de répit, les Allemands lancent, le 12 juin, une offensive de l’Aisne à Courtançon. Vers 3 h 15 du matin, ils déclenchent un violent bombardement par obus de tous calibres, notamment des 210 qui creusent des entonnoirs énormes. Puis, au lever du jour, le bombardement comporte de nombreux obus à gaz et un nuage opaque et nauséabond couvre la vallée. Tous les hommes du 4e régiment de tirailleurs portent le masque et attendent stoïquement l’assaut. Rapidement, toutes les lignes téléphoniques sont coupées et les différentes unités ne peuvent plus communiquer qu’avec la TPS et par des coureurs.
Vers 5 h du matin, les troupes allemandes se déploient pour l’attaque, elles sont très nombreuses au voisinage du Pont Cheminet. Là, les mitrailleuses et fusils mitrailleurs, installés dans les maisons riveraines, fauchent sans relâche. Des unités allemandes contournent alors le pont au nord, par la rue de Normandy, et le Moulin en pré. Elles réussissent à percer les lignes françaises et à pénétrer dans le village. Deux sections de la 23e compagnie chargent à la baïonnette mais ne réussissent pas à stopper complètement les infiltrations allemandes qui parviennent, en plusieurs points, à prendre à revers la première ligne dans tout le village. La situation devient critique mais, fort heureusement, le capitaine Favier, qui occupe la ligne de soutien, se précipite à la rescousse avec une section de la 21e compagnie. Tous les Allemands qui ont pénétré dans le village sont tués. Au sud, en liaison avec la Légion, qui défend Saint-Bandry, les unités tiennent bon et infligent de lourdes pertes aux troupes allemandes. Les champs de blé entre Le Rollet et Ambleny sont jonchés de cadavres.
Entre Ambleny et Pontarcher, l’attaque est tout aussi violente. Dans cette zone, la première ligne française se trouve entre le ru et la route de Fontenoy. À la faveur du jour qui se lève, le chef de section Lapeyre voit arriver l’ennemi en rampant. Il prévient ses hommes de se tenir prêts et, au moment où l’ennemi se lève, déclenche ses quatre fusils mitrailleurs. La première vague allemande s’écroule, une seconde vague avance immédiatement, presqu’au coude à coude, et subit le même sort. L’ennemi amène alors des mitrailleuses qui prennent la tranchée française en enfilade et inflige de lourdes pertes. La section est contrainte de se replier car l’ennemi envoie des grenades fumigènes pour tenter de la contourner. À gauche, vers Pontarcher, les munitions viennent à manquer et on en vient rapidement au corps à corps. À droite, du côté du Moulin en pré, on doit défendre une zone boisée que l’on n’a pas eu le temps de protéger par des fils de fer barbelés. L’approche de l’ennemi en fut facilitée. Longtemps dans ce secteur, on entend crépiter les fusils mitrailleurs puis tout se tait, les Allemands ont réussi à atteindre la tranchée française. Toute la section est décimée, seul un caporal en reviendra indemne.
Toutes les sections doivent se replier sur la tranchée de soutien, située le long de la route de Fontenoy. Les Allemands qui tentent de traverser la route sont pris en enfilade par les fusils mitrailleurs. Le caporal Fieux, à lui seul, en abat trente-deux. À la fin de l’après-midi, la ligne de soutien a bien joué son rôle, l’avance allemande est définitivement stoppée. Les sections Lapeyre et Mazeth tentent alors de reprendre la première ligne mais les hommes sont épuisés, ils ont combattu toute la journée avec le masque à gaz et il faut renoncer.
Avec mille trois cents hommes seulement, mais au prix de lourdes pertes, le 4e Tirailleurs réussit de jour-là à briser une offensive forte de plus de trois mille hommes. Les Allemands ne tentèrent pas d’autre attaque et, un mois plus tard, l’offensive française du 18 juillet balayait les lignes allemandes. C’était le prélude à la victoire.
Denis Rolland (d’après le JMO du 4e Tirailleurs)
En téléchargement :
- « Ambleny, le temps d’une guerre, journal d’Onézime Hénin, 1914-1918 », Robert Attal et Denis Rolland, éditions Société archéologique et historique de Soissons.
Le temps d’une guerre, journal d’Onézime Hénin
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